Changements biologiques dans les populations d’anchois et de sardine
Pour les deux espèces, une inversion de tendance s’est produite depuis 2009. Ainsi, les poissons sont devenus plus petits, et présentent une croissance ralentie et une condition corporelle plus faible. De plus, les sardines les plus âgées (> 2 ans) semblent avoir disparu.
Une étude complémentaire focalisant sur la condition corporelle des petits pélagiques a été réalisée dans le cadre d’une thèse et a combiné toutes les données de condition corporelle recueillies au niveau individuel depuis les années 70 sur les sardines, anchois et sprats. La combinaison d’échantillons des campagnes scientifiques et issus de la pêche professionnelle a permis d’avoir des données à toutes les périodes de l’année.
En résumé, cette action a permis de démontrer un problème de taille et de condition des poissons depuis 2008. En d’autres termes, le nombre de sardines et d’anchois a plutôt augmenté, mais ces poissons sont petits et maigres, ne permettant pas une exploitation rentable de ces espèces. Ce problème de taille résulte d’une faible croissance (pour les 2 espèces) combiné à une disparition des individus les plus âgés pour la sardine. Cette disparition pose de nombreuses questions (migrations vers d’autres zones ou surmortalité) auxquelles les actions suivantes essaient de répondre.
Enfin, le problème de condition corporelle semble exacerbé chez les individus les plus âgés, les rendant potentiellement plus susceptibles à d’autres facteurs de stress.
La situation actuelle est-elle inédite sur le plan historique ?
Un long travail de recherche de données a été entrepris et les séries de débarquements des anchois, sardines et maquereaux ont pu être reconstitués depuis 1865 pour 4 quartiers géographiques : Port-Vendres, Sète, Marseille, Nice-Martigues-Toulon.
En résumé, la reconstitution d’une série historique des débarquements a permis de montrer l’augmentation importante de l’effort de pêche aux débuts des années 60 site à des développements technologiques notamment. Cela a également permis de mettre en exergue le caractère inédit de la situation actuelle. En effet, les débarquements actuels de sardines notamment sont encore plus faibles que les débarquements réalisés avant cette augmentation d’effort.
Les gros individus sont-ils partis ailleurs ?
L’analyse conjointe des données espagnoles et françaises a permis de montrer que la situation était très similaire en Espagne, la taille moyenne des sardines et des anchois capturés ayant fortement diminué. Ainsi, cela suggère que la disparition des gros individus n’est pas due à une migration vers l’Espagne et que le problème rencontré pourrait s’opérer à une échelle régionale plus grande que le simple golfe du Lion.
Effet de la pression de pêche
L’anomalie observée pendant les dernières années pourrait être potentiellement reliée à des changements environnementaux ou à la pêche. Étant donnés les niveaux d’exploitation pendant les dernières années pour les trois espèces et la nature des changements observés (pratiquement en parallèle pour l’anchois, la sardine et le sprat: cette dernière espèce n’étant pas exploitée), il est peu probable que la surexploitation soit le forçage principal causant ces changements au sein des populations de poissons petits pélagiques. Une comparaison des distributions en taille des données de pêche et des données de campagnes a pu mettre en évidence une faible sélectivité des captures par pêche, indiquant que si les tout petits poissons ne sont pas capturés, la pêche ne se focalise pas non plus sur les individus les plus gros. Ainsi, il est fort peu probable que la pêche soit à l’origine de la chute de la taille moyenne chez les sardines et les anchois.
Effet de la prédation des thons (et mammifères marins)
La pression de prédation du thon a été étudiée sur les trois espèces de petits pélagiques entre 2011 et 2013 en termes d’abondance et de distribution en taille. La proportion annuelle de chaque population de petits pélagiques consommée par le thon, ainsi que la sélectivité du thon pour certaines classes de taille ont été estimées en utilisant comme entrées principales :
- l’abondance de thons estimée par suivis aériens et la distribution en taille des thons (évaluée grâce à des données de pêche),
- un modèle bioénergétique estimant des taux d’ingestion par le thon,
- des analyses de contenus stomacaux pour définir le régime alimentaire de ce prédateur,
- l’abondance et la distribution en taille de la population de chaque espèce de petit pélagique estimée par une longue étude de terrain.
Cette action a permis de montrer que la sardine, l’anchois et le sprat sont des espèces importantes dans le régime alimentaire du thon, sans être pour autant consommées en fonction de leur taille. De plus, le thon ne prélève qu’une très petite proportion en biomasse de la population de ces espèces, et ne peut donc pas être considéré comme une cause de la diminution de leurs abondances et de leurs tailles. De façon similaire, une étude sur la prédation exercée par les dauphins semble indiquer le prélèvement d’une quantité dérisoire de petits pélagiques.
Présence de pathogènes
Elle repose sur un échantillonnage de plus de 1 000 sardines acquises essentiellement grâce au partenariat avec les pêcheurs au cours des années 2014 et 2015. Malgré l’impossibilité de rechercher tous les agents infectieux, un grand éventail a été testé et ce pratiquement tout au long d’une année. Très peu de pathogènes ont été détectés. Bien qu’il soit difficile de conclure définitivement sur l’existence d’une maladie capable de restructurer la population de sardines dans le golfe du Lion, la probabilité qu’un agent suffisamment nocif soit actuellement présent est réduite. Le rôle potentiel de pathogènes éventuellement inaperçus semble par conséquent aussi peu probable. Cependant, la prévalence de micro-parasites ne nous permet pas de les exclure comme des facteurs ayant possiblement un effet d’affaiblissement des sardines. Une nouvelle étude focalisant sur les coccidies, parasites hépatiques, afin de mieux comprendre leur effet potentiel est en cours.
Compromis énergétique entre croissance, survie et reproduction
Cette action avait pour but de comprendre pourquoi les individus les plus grands et les plus âgés ont quasiment disparu du golfe du Lion et si cela pouvait avoir un lien avec l’énergie investie dans la reproduction. Il a été montré que les femelles maintiennent voire augmentent leur investissement énergétique dans leurs fonctions reproductrices alors qu’elles sont en mauvaise condition. Premièrement, la taille à maturité a fortement diminué depuis 2008, indiquant que les femelles sont mâtures à des tailles beaucoup plus faibles. De plus, l’indice gonado-somatique a augmenté au cours de ces dernières années notamment chez la sardine. Enfin, la période de reproduction est restée, de façon surprenante, constante voire en légère augmentation, malgré le rajeunissement de la population.
Cette étude nous confirme que les anchois et les sardines privilégient leur reproduction plutôt que leur propre survie et permet de montrer la stratégie adoptée par les petits pélagiques faisant face à de faibles ressources. Les changements de croissance et la disparition des individus les plus âgés peuvent au moins en partie être mis en parallèle avec des dépenses énergétiques en priorité allouées à la reproduction. Pour l’instant, malgré la baisse du nombre et de la qualité d’œufs mise en évidence pour la sardine, le recrutement se maintient à des niveaux élevés.
Changements potentiels d’alimentation
Cette démarche avait pour but de comprendre si des changements d’alimentation des petits pélagiques avaient pu se produire au cours du temps.
L’étude des interactions trophiques a mis en évidence une évolution sur 10 ans entre les trois espèces. Alors que les sprats et le couple anchois/sardine se nourrissaient de proies différentes (zooplancton), une nouvelle compétition potentielle est apparue à partir de 2010, signifiant cette fois que les trois espèces partagent dorénavant les mêmes proies. Cependant, il faut rester prudent sur cet aspect-là car le manque de suivi des données planctoniques ne permet pas de dire si la ressource est réellement limitante, et donc si la compétition a réellement un effet néfaste sur les sardines et les anchois.
Le sprat possède un avantage de par le large spectre de proies sur lequel il peut se nourrir et est en compétition depuis 2010 avec l’anchois et la sardine pour les ressources. Les proies principales des anchois et des sardines ont changé autour de 2008 et sont aujourd’hui plus petites et donc moins énergétiques. Cet ensemble de changements peut expliquer pourquoi la condition corporelle, la croissance et la biomasse des petits pélagiques restent faibles, tandis que le sprat augmente de par ses avantages compétitifs.